L' ECHAUFFEMENT
Maudits soient les échauffements ! Moment honni par tous rugbymen normalement constitués, il nous fait flipper et nous donne envie de gerber. En trottinant derrière les pagelles, encore tout ensuqués d'un repas du midi mal digéré, on se demande bien pourquoi on a choisi ce sport…
Quel que soit le lieu de l'échauffement, dans un embut sous les quolibets d'une foule hostile, sur un terrain vague, un champ de patates ou un vieux bout de pelouse encadré par quelques arbres chétifs, personne n'a entendu dire : " je me suis vraiment fait plaisir à cet échauffement…". Si c'est le cas, vous êtes en présence d'un dangereux maniaque ou d'un préparateur physique.L'échauffement, c'est d'abord la vision d'un troupeau qui piétine un embut en tentant de soulever les genoux, de ramener les talons aux fesses… Pathétique, quand l'entraîneur lance le signal des fameuses accélérations dans la largeur. Ces accélérations, censées être progressives ou foudroyantes, ont de quoi laisser pantois l'observateur. Après le "top" d'usage hurlé pour déchaîner les énergies et lâcher les chiens, un léger frémissement. Dérisoire. Seul, un ailier s'extrait de la masse pour galoper frénétiquement au devant de ses copains. Mais les autres restent groupés, paralysés, rouillés. Le signal aura eu l'effet d'une épingle à nourrice plantée dans le cul d'un mammouth.
Le syndrome cotonou:
Mais faut comprendre, l'échauffement intervient toujours en pleine digestion… et quelle digestion. Entre renvois de carottes râpées et de jambon-purée, difficile de se concentrer sur les pompes-abdos qui vous préparent au combat. Alors vient ce que certains joueurs appellent le syndrome "cotonou". Suffoqués par la pression, les émotifs ont subitement les jambes en coton. Anémiés, ils font des changements d'appuis qui tournent aux crochets de vieilles.
Les plus indisposés s'en vont,
solitaires, poser un fox salutaire pour un estomac saturé par le
stress. Quelques petits malins prétextent toujours la "petite pointe
dans la cuisse" pour ne pas courir avec les autres et font semblant de
s'étirer en grimaçant.
Et puis vient le premier contact avec
l'adversaire. Un contact visuel. On les aperçoit vaguement, au loin,
dans l'autre embut, à faire des allers-retours entêtants. Ils ont
forcément l'air costaud, affûtés, hyper motivés, ils ont les cuisses
luisantes et dégoulinent de vaseline, ce qui témoigne de leur
détermination. On devine parfois l'écume qui mousse ou coin des
lèvres, leurs yeux exorbités. Envahi par une peur primitive, celle qui
fait avancer le gibier traqué, on se met à regarder ses chaussures en
se disant " vivement cinq heures dans les vestiaires qu'on se fume la
petite clope du réconfort…". Et pour un peu qu'on joue à l'extérieur,
en territoire ennemi, chambrés par quelques ultras travaillés au rouge
limé, alors ce pessimisme se transforme en délire parano : vous avez
tendance à surévaluer votre vis-à-vis que vous pistez d'une manière
obsessionnelle. Et les vertus hallucinogènes des odeurs de camphre
font le reste. Si votre homme n'est pas tout à fait rachitique vous
l'imaginez comme un monstre de puissance qui va tout emporter et vous
traîner sur 30 mètres comme un vermisseau, s'il fait 40 kilos, ça doit
cacher quelque chose, vous vous suggérez qu'il doit avoir des cannes de
feu et qu'il va vous humilier sous les hourras du public.
Bref, il est alors vraiment temps de regagner les vestiaires parmi les rots caverneux, les pets foireux et le claquement des crampons sur le carrelage des couloirs. Débarrassés de nos démons qui nous hantent, le vrai combat va commencer…
Prince d' Euphore